lundi 21 juillet 2014

Deux jours, une nuit

Vu en mai, alors qu'il sortait à Cannes.
Splendide moment de cinéma, qui nous est offert par les frères Dardenne.

Marion Cotillard a été dirigée et filmée à merveille, et donne une profondeur bouleversante à son personnage d'ouvrière, Sandra. La caméra ne la lâche jamais et s'accroche au moindre changement de son visage,  au moindre changement de posture - le langage du corps est épié, traqué dans ses inflexions les plus fugaces, et retranscrit à l'écran afin que nous en saisissions toute sa beauté douloureuse, toute sa force d'expression.
Sandra, victime du diktat économique et social de notre époque, répète à l'envie les mêmes mots, les mêmes phrases simples vidées de leur affect, auprès de chacun de ses collègues de travail, afin de les convaincre de revenir sur leur vote et donc de renoncer à la prime promise par la direction s'ils cautionnent son licenciement. Les mots de Sandra, pour dire son malheur devenu trop lourd à porter, sont devenus routiniers, moutonniers, exsangues de toute énergie ou révolte. Dépourvus de toute expression, de toute intonation marquée,  ils ne disent qu'une chose, sa honte de devoir venir quémander, d'être réduite au rôle d'intruse, de mendiante, et de placer ses camarades devant un dilemme. Seul son corps, ses silences, disent le surgissement de la joie, de l'espoir ou la douleur, l'anéantissement de son être qui la font se recroqueviller, se bourrer d'antidépresseurs, au gré des réactions de ses collègues.
Pas de grand discours,  des mots identiques utilisés en guise d'argument par ceux de ses camarades qui ne peuvent se résoudre à abandonner la prime. Là aussi les regards, les silences, les éclats de voix, ou les coups, racontent tout de l'assujettissement des salariés modestes (et des autres, bien sûr !).
Le portrait de notre société, en miroir, est brossé avec une justesse qui fait mouche. Le constat n'est guère plaisant, et 'ce grand corps malade' est étalé par touches fines, sans recours à des effets grandiloquents de la caméra, du scénario ou des dialogues. Et l'enfermement dans lequel Sandra se retrouve, cette oppression sociale et économique qui la victimise, la rend incapable de respirer, l'étouffe littéralement - elle a le statut de la victime sacrificielle, happent le spectateur  et le placent en communion avec le désespoir et la tentation de l'inertie ressentis par Sandra. A quoi bon lutter ?
La réussite des cinéastes est d'autant plus remarquable qu'ils nous amènent à reprendre espoir, à éprouver l'envie farouche de nous lever et lutter, de ne pas nous avouer vaincus, au nom de notre dignité d'homme, et aussi parce que l'amitié et l'amour sont des pépites qu'il ne faut jamais renoncer à débusquer dans le méandre des affaires humaines, devenues otages des affaires économiques.
Et cette fierté retrouvée est celle de Sandra, de son mari, de ses collègues qui ont accepté de se mettre en danger pour la soutenir - en vain d'ailleurs, mais ceci est une autre histoire. Le principal est l'attitude, pas ce que l'on gagne ou perd.

A lire :   Article critique sur Inrocks.

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